La maternelle sous « le choc des savoirs »

L’obligation de l’instruction dès 3 ans décrétée par Blanquer a eu pour premières incidences les cadeaux faits au privé et la mise en concurrence de l’EM avec les jardins d’enfants. Mais il fallait poursuivre la tâche de démantèlement de l’école maternelle publique. C’est à cela que sont destinés les nouveaux « programmes », véritable outil de new management, qui institutionnalise les inégalités. « Réarmer notre école, c’est réaffirmer nos valeurs » proclame Gabriel Attal, et ces valeurs ne sont décidément pas celles d’une école pour tous.

L’école maternelle, au sein de l’école primaire, n’échappe pas au « choc des savoirs » qui constitue la colonne vertébrale de l’ensemble du système, ainsi défini par Gabriel Attal : « Le choc des savoirs, c’est assumer que tout le monde ne progresse pas au même rythme, que tout le monde n’a pas les mêmes facilités ou les mêmes difficultés ». Et Gabriel Attal assume ! Plus encore il revendique la promotion d’un système éducatif inégalitaire, au nom de différences naturalisées.

La naturalisation des différences, qu’elles soient biologiques ou sociales relève d’une idéologie des plus réactionnaires afin de promouvoir une élite, au nom de la méritocratie et d’une conception hiérarchisée de la société. En sont les premières victimes les enfants issus des classes populaires, rendus responsables, dès la maternelle de leurs difficultés à entrer « spontanément » dans les apprentissages scolaires. Or nombre de travaux, issus de recherches universitaires ou pédagogiques convergent pour faire la preuve que les échecs sont le produit d’une construction sociale, imputable en partie à l’école, dès lors qu’elle ne transmet pas à tous ce qu’elle-même requiert. Depuis la neurobiologie nous a appris que comme tout organisme vivant, l’être humain est génétiquement programmé mais qu’il est programmé pour apprendre. Ce qui fait la spécificité de l’humain, c’est le besoin d’apprendre… si les conditions en sont créées. D’où l’importance d’une première école dont la mission est précisément de créer ces conditions pour que toutes et tous acquièrent la culture scolaire.

Le « choc des savoirs » dès la maternelle est l’annonce d’une violence inégalitaire qui va frapper de jeunes enfants dont la « faute » est d’être issus des classes populaires, en ne s’adressant qu’aux élèves répondant, du fait de leurs origines socioculturelles, aux normes standardisées d’une école qui leur est exclusivement destinée. En atteste le contenu de ces « programmes », qui évacuent le devenir élève, le difficile et long passage d’une socialisation familiale à une socialisation scolaire pour n’être qu’une propédeutique aux évaluations de l’entrée au CP. C’est à l’école maternelle que tous les enfants, et particulièrement ceux pour lesquels l’école est un milieu étranger, peuvent apprendre ce que requiert la spécificité des apprentissages scolaires. C’est à l’école que tous peuvent s’émanciper de leurs habitus pour transformer leur rapport à l’espace, au temps, aux autres (adultes, pairs), aux apprentissages, s’emparer de nouvelles pratiques cognitivo-langagières, dans la rencontre avec de nouveaux objets de savoirs. Mais cela ne s’improvise pas. Le « choc des savoirs » en maternelle c’est l’aggravation des écarts avec l’accumulation de tâches d’exécutions, où il n’y a plus de place pour la pensée, l’imagination, le jeu, la coopération. L’individualisation, l’évaluation permanente, et leur corollaire, la multiplication de dispositifs de différenciation, la fragmentation des apprentissages et leur progression à un rythme prescrit sont un empêchement à construire le sens et le plaisir d’apprendre. Les enfants/élèves déclarés à « besoins particuliers » feront dès leur première scolarité « l’apprentissage douloureux de l’infériorité », quand ils n’auront d’autre alternative que de se soumettre ou se démettre parce que l’école ne jouera pas son rôle dans l’indifférence ou la surestimation des différences. Il faut apprendre « vite et beaucoup » stipule le préambule. Appliquer, restituer, exécuter… L’apprentissage à marche forcée, selon des protocoles imposés ne nécessite plus de formation des enseignants. La culture n’est pas à l’ordre du jour, car il n’est pas question de penser du commun. C’est ainsi que les programmes prétendent préparer les jeunes enfants à leur avenir de travailleur et de citoyens ayant pour tout viatique les fondamentaux et à se comporter en « enfants sages ». Comment ne pas retrouver les grandes lignes des programmes des extrêmes droites auxquels sont désormais ouvertes les portes du pouvoir et qui s’intéressent beaucoup à l’éducation. Alors que « le ventre est encore fécond d’où est sortie la bête immonde » il est temps d’exiger « l’élévation continue du niveau culturel de l’ensemble de la population », de concevoir une école maternelle où tous les enfants découvriront le pouvoir d’agir et de penser.

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