L’apprentissage hors de contrôle

Le rapport conjoint de l’Igas et l’Igesr sur « La qualité de la formation professionnelle » est une véritable petite bombe. Loin de l’autosatisfecit affiché par le gouvernement, ce rapport pointe les nombreux dysfonctionnements en matière de formation par la voie de l’apprentissage. Christian Sauce, enseignant en lycée professionnel et lanceur d’alerte sur les questions de la voie professionnelle, a décortiqué les quelque 70 pages. Il livre son analyse aux lecteurs et lectrices du Café pédagogique.

La formation par apprentissage est l’excellence, l’eldorado et la voie royale. Tout au moins si l’on en croit le gouvernement et le patronat, largement relayés par les médias. Tout est bon : le nombre d’apprentis en croissance exponentielle (plus de 10 % par an) comme celui des organismes de formation (plus de 8100 au 30 mai) et du nombre de formations (approximativement 40 000) ! L’avenir de la formation professionnelle sera donc patronal. C’est une évidence et ça ne nécessite plus de débat !

Sauf que le bilan est extrêmement enjolivé pour servir la propagande des libéraux et justifier les 22 milliards d’euros d’argent public qui ont dégouliné sur l’apprentissage en 2023 ! Un rapport conjoint de l’Igas et l’Igesr sur « La qualité de la formation professionnelle« , remis au gouvernement en octobre 2023 et rendu public le 27 mai 2024 (sic), est particulièrement alarmant sur la quasi-absence de contrôles de ce système de formation de nos enfants, adolescents et jeunes adultes.

On peut affirmer d’emblée que le contrôle des Centres de Formation par Apprentissage est (quasi) inexistant : » Le nombre de contrôles réalisés par la Mission de Contrôle Pédagogique des Formations par Apprentissage (MCPFA) représente 0,3 % des formations existantes par apprentissage. » Ce qui représente 125 établissements contrôlés en 2022 ! Les Inspecteurs ajoutent : « Sur le plan quantitatif, ce nombre n’est pas de nature à avoir un effet incitatif sur la qualité pédagogique des formations des centres de formation. » Qu’en termes galants ces choses-là sont dites ! Ceci sur le plan pédagogique. Mais le bilan est tout aussi catastrophique sur le plan des contrôles administratif et financier par les Services Régionaux de Contrôle (SRC) de la formation professionnelle : » D’après les données disponibles à la date de rédaction du présent rapport, 716 contrôles d’organismes de formation ont été réalisés en 2021, pour un volume total de fonds versés s’établissant à 121.3 millions d’euros. Des irrégularités ont été constatées dans 516 contrôles, pour lesquelles seulement 64 décisions préfectorales ou ministérielles ont été prises. »

La loi de la liberté du marché ! Mais on oublie trop souvent que ce marché de la formation concerne nos jeunes à qui on devrait consacrer toute notre attention. Dans ce domaine, c’est loin d’être le cas, car la loi n’a pas été faite pour qu’ils soient protégés au maximum : « La MCPFA note que la majorité des formations par apprentissage de l’enseignement supérieur est exclue du périmètre des contrôles pédagogiques. Au total, près de 41 % des apprentis sont dans des formations ni contrôlables par une MCPFA, ni accréditées par le ministère en charge de l’enseignement supérieur. » ! Imaginons le tollé que ce serait si cela existait au sein des établissements de l’éducation nationale !

L’apprentissage, c’est donc l’excellence, l’eldorado et la voie royale ! Mais pour qui précisément ? Car le contribuable français débourse plus de 20 milliards par an pour financer cette formation patronale, mais il ne sait strictement rien de comment est utilisé cet argent ni comment sont formés nos adolescents et jeunes adultes puisqu’il n’y a (quasiment) aucun contrôle réglementaire, que ce soit pour les organismes de formation comme pour les dirigeants d’entreprises ! À coup sûr, ce sont ces derniers qui sont les gagnants-gagnants du système !

Pour être complet, je veux insister sur un point, car je suis persuadé que certains vont s’exclamer : « Mais on s’en moque des contrôles puisqu’ils obtiennent un emploi à la sortie. » Une fois encore, la propagande aura pleinement fonctionné. D’abord, le chômage des moins de 25 ans a augmenté de 1,5 point entre le 1er trimestre 2023 et le 1er trimestre 2024 à 18,1 % (Insee). Ensuite, les taux mirifiques d’insertion des jeunes suite à l’obtention du diplôme en apprentissage sont calculés sur la totalité des sortants, sans tenir compte qu’un tiers d’entre-deux poursuivent de nouvelles études et ne sont donc pas concernés par la recherche d’un emploi. Et ça change tout !

 

Le rapport

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