Gabriel Attal, on ne lutte pas contre la violence des enfants par la virilité toxique, par Hélène Devynck

Dans son discours sur la violence des mineurs du 18 avril, le Premier ministre a expliqué vouloir maltraiter les enfants «pour leur bien». Une volonté de répondre à la violence par la violence, comme si l’Etat était si faible qu’il devait montrer ses muscles en singeant une puissance guerrière, analyse la journaliste.

par Hélène Devynck, journaliste

publié le 22 avril 2024 à 12h41

«La République contre-attaque.» Pour lancer son grand plan sur la violence des mineurs, Gabriel Attal a trouvé l’une des références les plus partagées de la culture populaire : la saga Star Wars.

«La République contre-attaque» comme l’Empire contre-attaque. A-t-il mesuré ce que porte l’image de l’Empire, l’Etat totalitaire des forces du mal, pour y voir un équivalent de la République ? Dans l’épisode V de l’opéra intergalactique, le côté obscur de la force l’a emporté, et Dark Vador, le numéro 2 de la puissance malfaisante, l’équivalent du Premier ministre, tranche la main de Luc Skywalker, l’espoir de l’alliance rebelle, en prononçant l’une des plus célèbres répliques du cinéma : «Je suis ton père.»

Pour le bien de la société, il faudrait enfermer les collégiens

La naïveté belliqueuse de la référence pourrait prêter à sourire, rester une blague de cour de récréation. Mais là où on ne rigole plus, c’est que Gabriel Attal déroule un programme inspiré de ce que la psychanalyste Alice Miller appelle «la pédagogie noire» : maltraiter les enfants en expliquant que «c’est pour leur bien».

Pour le bien des mères, il faudrait les condamner pour les délits de leurs enfants (et impliquer les pères absents, comme si elles ne savaient pas s’y prendre seules) plutôt que de veiller à les protéger de la pauvreté. Pour le bien des enfants, il faudrait les condamner à l’échec scolaire en les empêchant d’accéder aux études supérieures. Pour leur bien, il faudrait leur interdire les écrans plutôt que de les protéger d’une pornographie barbare en libre accès.

Pour le bien des écoles, il faudrait plus de policiers plutôt que plus de professeurs. Pour le bien des Français, il faudrait lutter contre la supposée impunité pénale des enfants plutôt que contre celle, réelle, des violeurs puissants. Pour le bien de la société, il faudrait enfermer les collégiens de 8 heures à 18 heures plutôt que de donner des moyens à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) asphyxiée ou prendre en compte les préconisations de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise).

Lutter contre la violence des mineurs remplace la lutte contre la violence faite aux mineurs. De l’autorité et de la discipline, voilà ce qui manque à une jeunesse délinquante dont une partie a dérivé vers «une violence déchaînée, morbide et sans règles». Depuis son arrivée à Matignon, le Premier ministre semble avoir la justice des mineurs en travers de la gorge et promet de la détricoter pour pouvoir punir plus sévèrement et plus rapidement. L’excuse de minorité lui semble un gros mot.

En bon élève de la virilité dominatrice…

C’est la clé de voûte de la philosophie de la protection de l’enfance que Gabriel Attal voudrait balayer. La figure mythique du criminel s’incarne dans les couches de migrants entassés dans des quartiers paupérisés. C’était l’apache, le sauvage «décivilisé», dans le Paris de la Belle Epoque, au temps de l’exode rural. C’est le jeune des cités dans la France contemporaine. Le bruit de fond n’a pas changé : la trilogie «classes laborieuses, classes vicieuses, classes dangereuses» revient. Pour Gabriel Attal, comme au début du siècle dernier, le jeune délinquant «oisif» «traîne dans la rue», «rôde la nuit», se perd dans «de mauvaises fréquentations». Le XIXe siècle a créé un archipel carcéral de sinistre mémoire, des bagnes d’enfants où des centaines de milliers d’entre eux ont été maltraités ou torturés sans que la paix sociale n’y gagne rien.

Mais surtout, ce qui transpire du discours du Premier ministre, c’est que l’enfant délinquant est un garçon. L’adolescent pauvre défiant l’autorité des pères est un mythe menaçant dans la grande légende de la masculinité hégémonique. En bon élève de la virilité dominatrice, Gabriel Attal aligne tous les poncifs du genre : répondre à la violence par une plus grande violence, comme si l’Etat était si faible qu’il devait prouver sa force et montrer ses muscles en singeant une puissance guerrière. Il décline les invariants du contrôle coercitif : isoler, interner, contrôler, surveiller, humilier et punir.

Ce discours a été prononcé à la suite de la mort tragique de Shemseddine, tué à 15 ans par des jeunes du même âge ou à peu près. A l’origine de la violence, c’est la sexualité d’une adolescente qui était en jeu. Comme dans de très nombreuses affaires, la violence se déchaîne autour de la réputation des femmes, de l’accès des hommes à leur corps. Et si la lutte contre la violence passait par la lutte contre la virilité toxique plutôt que par une surenchère d’autorité stérile ? Par l’éducation au soin et à l’attention à l’autre plutôt que par une posture de Dark Vador ?

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